Depuis l’aube de l’humanité, l’homme a utilisé la falaise rocheuse que cela soit pour sa survie ou pour la pratique de ses activités quotidiennes.
Dans le paysage de la vallée de la Vézère, région calcaire par excellence, le rocher occupe donc une place de premier plan même encore aujourd’hui où l’architecture tend vers la parfaite harmonie avec la nature. Pourtant, depuis la simple occupation des cavités naturelles par nos ancêtres Cro-Magnon, l’homme a, de génération en génération, toujours élargi son emprise sur le paysage naturel et en l’occurrence sur les falaises calcaires.
Malgré les difficultés de l’étude de cette relation de l’homme avec la falaise au cours du temps (en raison, entre autres, de l’utilisation multiple des lieux et des fouilles clandestines), il est tout de même possible de jeter un regard en direction des différentes périodes historiques :
Paléolithique
Considérée comme une « zone-refuge » pour les hommes, les animaux et les plantes au cours des temps glaciaires, la vallée de la Vézère abrite de nombreux abris-sous-roche et grottes d’occupation paléolithique quelquefois de façon brève et répétée ou plus longue et quasi-continue pour des activités domestiques (installation de foyers, taille du silex, découpe de la viande…) ou symboliques (sépulture, art).
Il est important de souligner que le milieu souterrain, au-delà de la pénombre, n’a pas été un secteur d’habitat ce que confirme l’emplacement, près des entrées, des sites d’habitat.
- Une étude approfondie montre que ces cavités n’ont pas été choisies au hasard et qu’une série de paramètres a probablement orienté leur choix avant chaque installation : l’orientation de l’ouverture : de préférence au sud dans les trois-quarts des cas,
- l’ensoleillement : les vallons sont toujours suffisamment larges pour que l’insolation soit toujours maximale même en hiver où le soleil est moins haut.
- le vent : le choix se porte souvent vers une cavité abritée des vents dominants d’ouest,
- le choix des dimensions : souvent de quelques dizaines de mètres, la grotte est plus facile à éclairer et à chauffer,
- le choix de la forme : le surplomb rocheux est souvent important et la paroi suffisamment concave pour constituer un abri efficace et laisser des possibilités d’aménagement ; un des rares aménagements encore visibles sur les parois ou sur des blocs sont des anneaux sculptés dans la roche (ex : Cap Blanc, Castanet…),
- le choix de la localisation géographique pour l’approvisionnement en ressources minérales (silex), en eau et en gibier.
Il est probable que la maîtrise de l’éclairage, la recherche d’eau et de meilleures conditions de températures aient été déterminantes pour que l’homme investisse de plus en plus le monde souterrain avec le refroidissement du climat vers – 18 000 ans. A ce jour, et en Périgord, l'occupation du milieu souterrain dans sa partie profonde, c'est-à-dire au-delà de la zone de pénombre, se limite à la création de sanctuaires dont l'art pariétal reste le témoignage le plus visible.
En revanche, avec l’amélioration climatique qui marque la fin du Paléolithique, le ruissellement dans les grottes rend les conditions d’habitation moins agréables et les hommes quittent, temporairement, ces refuges naturels. Ces lieux ne reflètent qu’une petite part des activités humaines quotidiennes mais du fait de leur caractère clos, la conservation de leurs traces peut être exceptionnelle (empreintes de pas, de mains, peintures, modelages…).
Néolithique
Un nouvel engouement pour les cavités se manifeste pour diverses raisons :
- l’approvisionnement en argile pour la céramique,
- l’approvisionnement en calcite pour la poterie et les perles, la recherche de dents de carnivores.
En plus d’être des secteurs d’approvisionnement, ces abris sont des lieux de culte (dépôt des défunts) et des lieux de refuge (grotte de Rouffignac, en particulier partie vestibulaire de la cavité).
Protohistoire
L’occupation des grottes à cette période est souvent méconnue en raison de l’intérêt plus fort des archéologues pour le Paléolithique et du nettoyage des cavités par les populations du Moyen-âge. A l’Age du Bronze, les grottes sont utilisées à des fins funéraires (dans la grotte de Rouffignac, on trouve des dépôts funéraires dans les galeries, de préférence ornées). Vers la fin de cette période, les cavités servent d’habitat. Les hommes de l’Age du Bronze sont présents dans de très nombreuses cavités, surtout les plus inaccessibles.
Il n’est pas possible de prouver qu’il y ait eu de réels aménagements des parois avant la fin de l’Age du Bronze. Dans la vallée de la Vézère, certains promontoires rocheux ont été aménagés en éperons barrés. L’isthme, formation naturelle, a été coupé par une palissade ou un fossé. Il s’agit des premières formes de fortification.
Moyen-âge
Une partie des aménagements sur les parois datent également de la période médiévale sans que l’on puisse être plus précis car l’occupation des parois est un phénomène continu, avec des périodes plus favorables que d'autres, du Paléolithique à l'actuel, qui, en fonction des variations du climat, des mouvements de populations, des événements… mais aussi de la nature des matériaux pour le façonnage des outils permettant de laisser une trace sur les parois.
La Roque-Saint-Christophe est un des sites troglodytiques les plus spectaculaires de la vallée : cinq étages, 80m de haut, 500m de long et un fort troglodytique. Cette très longue terrasse naturelle a été habitée dès le Néolithique. Elle a abrité par la suite les hommes de l’Age du Bronze, de l’Age du Fer, de l’époque gallo-romaine et du Moyen-âge. Le fort fut édifié par l’évêque de Périgueux au Xème siècle pour empêcher les vikings de remonter la Vézère. En 1401, les anglais s’emparèrent du fort que les français récupèrent cinq ans plus tard. En 1588, Henri III fait détruire la forteresse occupée par les huguenots. Sont encore visibles des milliers de boulins, dans lesquelles s’encastraient les poutres qui soutenaient les maisons, des canalisations pour la récupération et l’évacuation des eaux et des anneaux taillés dans le rocher. La Vézère et ses affluents comportent d'autres grandes cités troglodytiques dont le Bout de Monde, le Roc de Tayac, le Pech-St-Sourd… En outre, la plupart des falaises renferment souvent plusieurs cavités aménagées comportant, pour la plupart une seule salle, mais d'autres s'étendent à deux trois et plus secteurs aménagés.
Aujourd’hui
La tendance actuelle est d’intégrer l’architecture au paysage. Aux Eyzies-de-Tayac, au pied de la falaise, le béton brut et le verre sérigraphié du Pôle international de la Préhistoire font écho à cet environnement minéral.
Le bâtiment du Musée National de Préhistoire est un autre exemple. Par le choix de la pierre blonde pour ses murs qui rappellent la couleur de la falaise, la forme en strates qui évoque les couches géologiques (que l'on ne retrouve cependant pas dans cet encaissant du Coniacien…). L’architecte a du également s’imprégner du « génie du lieu » qui, dans le cas de la vallée de la Vézère, émane du paysage mais également de son passé historique et préhistorique.
De façon plus pragmatique, quels peuvent bien être les intérêts techniques à utiliser la paroi naturelle du rocher comme mur d’appui dans une construction ? Même si cette pratique remonte au Moyen-âge, elle est tout à fait d’actualité puisqu’elle est reprise par le concept actuel d’éco-habitat dans lequel le confort thermique est un point clé : ici l’inertie thermique du rocher minimise l’utilisation de divers systèmes de chauffage ou de rafraîchissement de l’air intérieur gourmands en énergie. Par ailleurs, dans une zone classée par l’UNESCO, la question de l’intégration au site naturel est capitale et l’habitat troglodytique répond bien à cette exigence.L’habitat troglodytique semble donc bien répondre autant aux exigences actuelles qu’à celles de nos prédécesseurs !