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L’art pariétal enfin reconnu !

Deux nouvelles grottes, Combarelles et Font-de-Gaume, parachèvent la démonstration lancée suite aux découvertes des années 1890. L’idée, que l’homme ait pu posséder une culture matérielle primitive tout en développant des préoccupations artistiques élaborées, fait son chemin. E. Cartailhac le sceptique, publie son Mea culpa. Réunie en Congrès à Montauban, la communauté scientifique finit par reconnaître officiellement “ l’art pariétal ”. Celui-ci va enfin trouver sa place dans la connaissance… Et s’imposera comme un des thèmes dominants de l’archéologie préhistorique du XXe siècle.

Le rôle magique de l’art pariétal

La théorie dominante de “ l’art pour l’art ” qui a joué un grand rôle dans le rejet de l’art pariétal perd du crédit au profit d’une autre explication : le rôle magique de l’art paléolithique. Cette dernière, marginalisée depuis qu’elle a été formulée en 1880 à propos de l’art mobilier, retrouve un second souffle. Elle permet de rattacher les œuvres pariétales à des préoccupations quotidiennes de l’homme préhistorique. Car au fond, que sait-on des “ mœurs et pensées ” de nos ancêtres ? Peut-être faut-il voir, comme le suggère certains, dans les œuvres laissées dans les grottes ici et là “ un premier document sur les superstitions préhistoriques ”…

Salomon Reinach. Source : Wikipedia. DR"Les peintures formaient l’objet du culte, qui s’adressait à l’espèce sur laquelle on croyait avoir prise et influence par le fait même de la représentation des individus. […] les cérémonies qu’ils (les hommes préhistoriques) accomplissaient devant ces effigies devaient tendre à assurer la multiplication des Eléphants, des taureaux sauvages, des Chevaux, des Cervidés, qui leur servaient ordinairement de nourriture ; il s’agissait aussi de les attirer en grand nombre dans les environs de la caverne, d’après ce principe de physique sauvage qu’un esprit ou un animal peut être contraint de choisir pour séjour le lieu où a été représenté son corps." 
Source : Salomon Reinach, L’art et la magie à propos des peintures et gravures de l’âge du renne, L’Anthropologie, t. 14, 1903, p. 257-266

"L'inutilité de ces gravures pour l’homme préhistorique, ne paraît pas avoir plus de valeur. […] Il est difficile d’en indiquer l’utilité, dans l’ignorance où nous sommes des mœurs et des superstitions primitives. C’est sans preuves sérieuses que nous avons admis l’absence d’idées religieuses rudimentaires chez les populations quaternaires. Les Magdaléniens sont déjà les représentants d’une phase avancée de l’humanité ; ils ont dû se poser des questions de causes, au sujet du monde et des phénomènes naturels au milieu desquels ils vivaient. Que savons-nous des solutions qu’ils ont cru pouvoir donner à ces obscures questions ?… Rien. Les gravures de nos grottes sont, peut-être un premier document sur les superstitions préhistoriques."
Source : Gustave Chauvet, Association française pour l’avancement des sciences, Montauban, Tome.1, 1902.

Mea culpa d’un sceptique

Emile Cartailhac, farouche détracteur de la thèse de l’art pariétal, abandonne peu à peu toute opposition systématique. Les découvertes de Combarelles et de Font-de-Gaume achèvent de le convaincre. Il lance alors un message à la communauté scientifique en publiant son Mea Culpa dans la revue l’Anthropologie. Il y évoque les récentes découvertes et revient longuement sur Altamira. Il fait amende honorable envers la mémoire de Marcelino de Sautuola, décédé en 1888. Preuve de courage et d’honnêteté intellectuelle… Ce Mea Culpa peut aussi être interprété comme une volonté de s’ériger clairement en partisan de l’art pariétal à quelques mois du congrès de Montauban qui doit réunir la communauté scientifique. On peut également y voir l’engagement d’un aîné, décidé à peser de tout son poids dans un débat qui engage l’avenir de sa discipline…

E. Cartailhac. Cliché : Société archéologique du Midi de la France"[…] M. de Santuola me tint au courant de ses découvertes et les publia peu après […] Inutile d’insister sur mes impressions à la vue des dessins de M.de Santuola. C’était absolument nouveau et étrange. Je pris conseil. Une influence qui a été souvent plus heureuse, m’induisit bien vite au scepticisme : “ Prenez garde ! On veut jouer un tour aux préhistoriens français ! ” m’écrivait-on. “ Méfiez-vous des cléricaux Espagnols ”. Et je me méfiai ! […]
Il faut s’incliner devant la réalité d’un fait, et je dois pour ce qui me concerne faire amende honorable à M.de Santuola. Il n’est pas jusqu’à la vue de la belle planche dont nous donnons ici un fac-similé, qui ne soit une révélation du style préhistorique que j’ai eu le tort de méconnaître. Et quant à ces formes étranges qui étonnaient à juste titre M. Harlé […] elles continuent de nous étonner, mais qu’importe ! Nous sommes aujourd’hui plus habitués aux surprises dans le domaine de notre archéologie préhistorique. Notre jeunesse croyait tout savoir, mais les découvertes de MM. Daleau, Rivière, Capitan et Breuil […] nous montrent que notre science, comme les autres, écrit une histoire qui ne sera jamais terminée, mais dont l’intérêt augmente sans cesse."
Source : Emile Cartailhac, Mea culpa d’un sceptique, l’Anthropologie, Tome 13, 1902, p.348-354

Montauban, lieu de la reconnaissance officielle

Le Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences se tient donc à Montauban en août 1902. La section d’anthropologie y présente de nombreux travaux consacrés à la thèse de l’art pariétal. Les communications successives rencontrent un accueil favorable. Dans ce chœur de célébration, Elie Massénat élève sa voix discordante et fait entendre ses objections. Il persiste à penser que ces collègues ont été trompés. Pour lui, les œuvres pariétales sont dues à quelques réfugiés du temps “ des guerres de religion et de l’Empire ”.

"MM. E. Rivière, Capitan et Breuil nous disent : voici des Mammouths, des Rennes, des Antilopes, des Aurochs, etc. Nous demandons si on ne pourrait pas dire : voilà des Eléphants, des Cerfs, des Chèvres, des Taureaux, etc. […]
Pourquoi les grands artistes qui ont sculpté et gravé les si remarquables pièces de Laugerie Basse, et de la Madeleine, ont-ils rompu avec les meilleures traditions pour tracer dans ces grottes des formes apocalyptiques et grotesques ?[…] Pourquoi se sont- ils enfouis dans l’ombre, à plus de deux cents mètres de l’orifice pour cacher leurs œuvres si variées ? Mystère ! La lampe de La Mouthe servait-elle aux Combarelles et à Font-de-Gaume ?[…]
La tradition locale qui a fait de ces grottes des retraites où les gens du pays ont trouvé des asiles sûrs pendant les guerres de religion et de l’Empire permettraient de rapporter à des prisonniers volontaires ces gravures et ces fresques qui nous occupent aujourd’hui. Ils ont grossièrement tracé les animaux connus dans nos campagnes […] N’étant pas artistes, ils ont forcément, grossièrement indiqué les contours sans proportions vraies, sans détails intéressants.
Ces grottes ont été souvent visitées, il n’y a qu’à voir sur les parois les noms, les dates, les inscriptions plus ou moins décentes, les croquis réalistes qui les couvrent pour constater les fréquentes invasions des gens du pays et des touristes. On peut se demander si les croquis, tracés dans une roche calcaire tendre comme aux Combarelles, auraient pu résister au frottement des générations successives depuis l’âge du Renne. […]
Pour nous, nous n’hésitons pas à voir, dans ces représentations des œuvres historiques, même récentes, et nous n’acceptons pas l’interprétation qui veut reporter à l’âge du Renne l’origine, pardonnez-moi l’expression, de ces caricatures d’animaux modernes."
Source : Elie Massénat, Observations sur les dessins et fresques signalés à La Mouthe, Combarelles et Font-de-Gaume (près les Eyzies), Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, 31e session, Montauban, 1902, t. 1.

Son ami de longue date, Emile Cataillhac, lui lance un appel à la raison.

E. Cartailhac. Cliché : Société archéologique du Midi de la France"J'ai écouté avec une vive curiosité la lecture annoncée et tant attendue de M. Massénat. Mon vieil ami me permettra de lui dire que son opposition ne fera que mieux ressortir le mérite des personnes qui ont appelé notre attention sur les gravures et les fresques de nos cavernes. Un peu d’opposition n’a jamais nui aux découvertes et le spirituel exposé de M. Massénat n’empêchera pas les faits d’être certains. J’ai moi-même, il y a vingt ans, douté de l’antiquité préhistorique des fresques d’Altamira, découvertes par M. de Sautuola. J’ai fait, l’autre jour, mon mea culpa public dans la dernière livraison de L’Anthropologie. M. Massénat n’attendra pas si longtemps pour reconnaître à son tour l’exagération de son scepticisme. Nous avons maintenant une assez nombreuse série de grottes avec peintures ou gravures pour que nous nous trouvions dans l’obligation de déclarer qu’il s’agit d’un fait général et du plus haut intérêt pour l’histoire de nos ancêtres de l’âge du Mammouth. J’espère que M ;. Massénat voudra bien se joindre à nous, après-demain, pour visiter les trois grottes principales : la Mouthe, Les Combarelles, Font-de-Gaume."
Source : Emile Cartailhac, Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, 31e session, Montauban, 1902, t. 1

La session se clôture par une excursion. Le 14 août, les congressistes arrivent en gare des Eyzies pour visiter La Mouthe et Font-de-Gaume. Le lendemain ils se rendent aux Combarelles.

Émile Rivière par Quinet. Source : Gallica-BNFLa session du Congrès s’est terminée, pour la section d’Anthropologie, par une excursion aux Eyzies, pour la visite des grottes de la Mouthe, des Combarelles et de Font-de-Gaume […]
Celle-ci présentait d’autant plus d’intérêt pour ses membres que la question, toute d’actualité, des gravures et peintures sur les parois des grottes, avait été l’objet de plusieurs communications et discussions scientifiques pendant la durée du Congrès. L’excursion a eu lieu les jeudi 14 et vendredi 15 août. Les congressistes étant arrivés de Montauban aux Eyzies à 11h du matin, l’après-midi du premier jour a été entièrement consacré à la visite, d’abord, de la grotte de la Mouthe […] Chacun a pu en étudier à son gré les parois gravées et reconnaître la parfaite authenticité des dessins préhistoriques qui les recouvrent […] De la Mouthe, les membres du Congrès se sont dirigés, sur la grotte de Font-de-Gaume qu’ils ont parcourue sur toute sa longueur, étudiant également les gravures et peintures qui décoraient ses parois. À l’unanimité aussi l’antiquité des unes et des autres a été considérée comme authentique.
Il en a été de même de celles qui ont été découvertes sur les parois du couloir gauche de la grotte des Combarelles. […]
Bref, nous croyons pouvoir dire, sans être démenti par aucun d’eux, que l’antiquité paléolithique de tous les dessins gravés et peints des trois grottes de la Mouthe, de Font-de-Gaume et des Combarelles ne laisse désormais aucun doute dans l’esprit de nos collègues. La détermination de l’époque à laquelle ils appartiennent, qui avait été faite par chacun des auteurs de ces découvertes dès le moment même où elles ont eu lieu, soit en 1895, soit en 1901, est donc absolument confirmée ." Source : Emile Rivière, Congrès de l’Association pour l’avancement des sciences, Montauban, Tome 1, 1902

Cette confrontation directe avec les preuves du débat s’avère capitale. Désormais, le temps des bataille  est passé. Celui du consensus est venu. L’art pariétal reconnu, l’archéologie préhistorique ouvre un nouveau chapitre de de son histoire ...

E. Cartailhac. Cliché : Société archéologique du Midi de la FranceMon cher ami,
Vous apprendrez avec plaisir que le grand fait de l’ornementation des cavernes par la gravure et la peinture a pris une valeur considérable dans l’histoire des âges paléolithiques.
M. l’abbé Breuil et moi sommes depuis deux semaines en Espagne à étudier, dans la province de Santander, la grotte d’Altamira. L’abbé rapportera à Paris un album étonnant au possible, car cette grotte n’avait été qu’entrevue et tous les jours nous y découvrons des pages nouvelles pour l’histoire de l’art. Les peintures sont grandioses, compliquées, habiles, originales. Les signes innombrables, les graffitis couvrent des surfaces énormes. On discutera longuement sur ce monde extraordinaire révélé par la plus belle des cavernes ornées.

Amitiés.
E. CARTAILHAC . Source : René Verneau, Les peintures préhistoriques dans les cavernes de l’Espagne, L’Anthropologie, Tome. 13, 1902, p. 683