Lorsque Gabriel de Mortillet publie en 1883 la première édition de son ouvrage Le Préhistorique, antiquité de l’homme, il livre au public le fruit de plusieurs années de recherche et de documentation. Loin d’être un ouvrage parmi d’autres, Le Préhistorique constitue le manuel que toute personne intéressée par l’archéologie et l’anthropologie préhistorique se devait alors de posséder et de consulter régulièrement.
Le caractère encyclopédique et systématique de l’ouvrage est d’ailleurs ce qui frappe d’emblée. D’une part, Le Préhistorique embrasse la grande étendue de temps qui s’étend entre l’ère tertiaire et la période gauloise. D’autre part, le propos est structuré suivant une liste de thèmes récurrents : documents archéologiques (industries), données géologiques, distribution des gisements, faune et flore, documents anthropologiques. C’est donc une très riche documentation que réunit l’ouvrage, documentation prolongée par un album de gravures dues à Adrien de Mortillet et publié en 1881 sous le titre Musée préhistorique. Encyclopédique et systématique, Le Préhistorique est également un ouvrage polémique dans lequel l’auteur défend des positions scientifiques et philosophiques fortes. Il faut avant tout considérer Le Préhistorique comme un traité qui développe et illustre la chronologie industrielle élaborée par Gabriel de Mortillet et originellement publiée en 1869 (Voir Essai d’une classification des cavernes et stations sous abri fondée sur les produits de l’industrie humaine). Le propos de l’ouvrage est ainsi de retracer et de démontrer l’existence d’un progrès global, linéaire et continu auquel l’humanité est soumise depuis son origine. Ce n’est donc pas un hasard si la 2e édition, ici présentée, est publiée en 1885 avec une préface identifiant deux thèmes majeurs dans le contenu de l’ouvrage : la chronologie et le débat sur l’homme tertiaire. La question chronologique est au cœur des travaux de Gabriel de Mortillet parce qu’elle doit fixer des stades de développement permettant de structurer le mouvement évolutif. La question de l’homme tertiaire est un domaine privilégié d’application de la thèse du caractère global et linaire du progrès.
Unissant évolution biologique et culturelle au sein d’un même mouvement, Mortillet avait proposé en 1879 l’hypothèse de l’existence d’un “anthropopithèque”, précurseur tertiaire de l’homme. Lorsque paraît cette 2e édition du Préhistorique, la question est plus que jamais à l’ordre du jour : l’année précédente, en 1884, le congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences réuni à Blois y consacre une grande partie de ses travaux, au moment où sont enfin publiés les actes du Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques de Lisbonne qui avait abordé la même question quatre ans auparavant. Après la mort de l’auteur, deux autres éditions de l’ouvrage verront le jour. Elles seront publiées sous la double signature de Gabriel et Adrien de Mortillet. La 3e édition en 1900 conserve le titre original, la 4e et dernière édition publiée en 1910 prendra le titre plus moderne de La Préhistoire.