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Index de l'article

La controverse d’Altamira

Altamira. Cliché : Museo de Altamira

Dès leurs découvertes, les peintures d’Altamira troublent les esprits. Jamais encore on n’avait vu de telles œuvres ! Comment les attribuer à l’Homme du paléolithique que l’on dépeint alors comme un animal plus ou moins humanisé ? Dans la communauté scientifique, la méfiance domine. Altamira est d’abord l’objet d’une vive controverse. Puis, à l’hostilité des débuts succède l’indifférence. Et, il faudra attendre de longues années avant que les peintures d’Altamira ne soient lavées de tous soupçons…

Une découverte “ unique ” et déconcertante…
En 1879, Don Marcelino Sainz de Sautuola, archéologue de Santander, fouille à Santillana del Mar au nord de l’Espagne, la grotte baptisée d’Altamira. Sa fille, raconte-t-on, aperçoit tout à coup sur le plafond d’une des salles, des bisons peints ! Immédiatement de Sautuola pressent l’importance de cette découverte. Sans pouvoir l’affirmer, il attribue ces peintures à l’époque du Renne. Il publie sa découverte accompagnée de dessins réalisés d’après les peintures observées.

 

 

M. de Sautuola. Cliché : Museo de Altamira"Quant aux peintures retrouvées, il ne fait pas de doute, que celles de la première galerie accusent une perfection comparée aux autres, cependant, leur examen attentif laisse penser qu’elles sont contemporaines les unes des autres. […] Il convient de noter qu’entre les os et les débris ont été retrouvés des morceaux d’ocre rouge, qui sans grande difficulté ont pu servir pour ces peintures […].
Je n’occulte pas de mon esprit, que certains de mes lecteurs puissent avoir des doutes sur ces dessins et peintures dont je me suis occupé […] Tout est possible, mais si l’on prend la chose au sérieux, il apparaît que cette opinion n’est pas admissible. Cette grotte était totalement méconnue jusque qu’à ce que j’y entre pour la première fois, en étant l’un des premiers visiteurs. Les peintures n°12 de la cinquième galerie existaient déjà, lesquelles attirent l’attention facilement car elles sont à deux pieds du sol […] Celles de la première galerie, je ne les découvris que l’année dernière en 1879, car à la vérité je n’avais pas examiné la voûte avec autant d’attention, et parce que pour les voir il faut rechercher les angles de vue, surtout s’il y a peu de lumière. […] Il paraît inadmissible que quelqu’un par distraction soit allé là pour peindre des figures indéchiffrables, et pour celles de la première galerie, il est impensable de supposer qu’à une date récente quelqu’un ait eu le caprice de s’enfermer dans ce lieu pour reproduire des peintures d’animaux inconnus dans ce pays à notre époque. […]
De tout ce qui précède, on peut déduire de façon argumentée, que les deux galeries mentionnées appartiennent, sans qu’il y ait de doute, à l’époque dénommée paléolithique, c’est-à-dire de la pierre taillée, soit l’époque primitive.
Reste, pour d’autres personnes à faire une étude consciencieuse des données que je mentionne, suffit à l’auteur de ces lignes la satisfaction d’avoir recueilli une grande partie des objets si curieux pour l’histoire de ce pays, et d’avoir pris les mesures nécessaires pour que la curiosité imprudente n’en fasse disparaître d’autres non moins importants, montrant ici la volonté que les hommes de science prêtent attention à cette province digne d’être étudiée plus qu’elle ne l’a été jusqu’à ce jour."
Source : Breves apuntes sobre algunos objetos prehistoricos de la provincia de Santander por Don Marcelino de Santuola. C de la Real Academia de la Historia. 1880.

Intrigués par cette première, les scientifiques se succèdent pour venir voir les peintures. Mais seul, Juan Vilanova y Piera professeur de paléontologie à l’université de Madrid semble convaincu de leur ancienneté et qualifiera le fait “ d’extraordinaire et curieux ”.

Juan Vilanova y Piera. Cliché : Museo nacional de Ciencas naturales

"L'explication que je donne de ce fait extraordinaire et très curieux est celle-ci : la caverne de Santillana, dans d’excellentes conditions d’habitabilité, a été occupée, pendant des siècles si vous voulez, par des hommes dont le métier principal était la chasse, et peut-être aussi l’agriculture, pour laquelle la contrée offre de très belles conditions. Eh bien ! est-il déraisonnable, par exemple, messieurs et mesdames, de supposer que, parmi ces troglodytes, il s’en trouvait quelqu’un doué de l’instinct artistique et qu’il s’occupa à représenter dans sa propre demeure les animaux qu’il chassait tous les jours ! Que peut-il y avoir d’extraordinaire ou d’absurde dans ce raisonnement pour mériter les reproches et même la critique de ces archéologues distingués…"
Source : Juan Vilanova y Piera, Sur la caverne de Santillana, Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, 11e session, La Rochelle 1882.

 

La plupart des préhistoriens de l’époque, ne savent comment interpréter quelque chose d’aussi neuf et déconcertant…
Loin de convaincre, le caractère “ exceptionnel ” d’Altamira joue en sa défaveur.

 

L'oeuvre d'un faussaire ? 
Chez les préhistoriens, c’est donc le doute qui l’emporte. Tout les porte à croire que sous les bisons d’Altamira se cache l’œuvre d’un faussaire. Ce ne serait pas la première fois ! La préhistoire du XIXe siècle a connu de nombreuses affaires du genre.  Les faussaires de l’époque brillent d’inventivité. Ils fabriquent notamment de faux objets qu’ils enfouissent dans les gisements pour qu’ils soient découverts par les fouilleurs. Dans ce contexte, la singularité des peintures d’Altamira constitue un indice possible, voire probable, de fraude.

Émile Cartailhac et Gabriel Mortillet sont parmi les premiers à suggérer l’idée d’une mystification. Édouard Harlé lui, le clame publiquement dans un J’accuse édité en 1881.

Edouard Harlé. Cliché : Muséum d'Histoire Naturelle de Bordeaux"Le sol au-dessous des peintures a été bouleversé par les fouilles, aussi son examen n’a fourni aucun argument. […] L’ocre rouge est commune dans le pays. On l’emploie à badigeonner les maisons. […] Les incrustations qui recouvrent certains dessins sont beaucoup trop minces pour conclure à une grande antiquité. La paroi très rugueuse sur laquelle sont tracés les quadrillages est en roche vive ; cette paroi s’est donc dégradée par effritement, et comme les quadrillages sont intacts, c’est une preuve qu’ils ne remontent pas à une très grande antiquité.[…]
Je crois avoir démontré que les belles peintures du plafond […] sont fort récentes. Il semble probable qu’elles ont été faites dans l’intervalle des deux premières visites de M. de Sautuola, de 1875 à 1879. […]"
Source : Edouard Harlé, La grotte d’Altamira (Espagne), Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, t 16. 1881

 

Juan Vilanova y Piera, proteste contre ces appréciations !

Juan Vilanova y Piera. Cliché : Museo nacional de Ciencas naturales"A cet étrange argument, on peut seulement opposer cette simple réflexion, que s’il fallait déclarer fausses toutes les observations, tous les faits qui passent inaperçus à l’œil du naturaliste ou, de l’archéologue, la première fois que celui-ci visite une localité, alors neuf dixièmes des documents des sciences d’observation, devraient être relégués dans la catégorie des mensonges ou des tromperies ! M. de Sautuola déclare avec loyauté, n’avoir pas bien regardé le plafond de la première galerie et les dessins dans ses premières visites à la caverne, préoccupé comme il l’était par les richesses archéologiques qu’il trouvait dans le dépôt du kjökkenmödding ; et il a dû bien plus tard être averti par sa jeune fille pour reconnaître l’existence de ces objets d’art ancien […]"
Source : Juan Vilanova y Piera, Sur la caverne de Santillana, Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, session du 28 août 1882, La Rochelle

Les deux hommes partent pourtant des mêmes faits et se réfèrent aux mêmes théories, mais leurs conclusions divergent …

Une question d'interprétation
Au XIXe l’évolution de l’homme est décrite comme un processus linéaire. Chaque époque apportant son lot d’innovations et contribuant peu à peu au progrès humain. Selon cette vision, l’hypothèse d’un art pariétal préhistorique qui fait appel à des techniques sophistiquées ou mieux, témoigne de considérations abstraites, voire religieuses, n’a pas de place…On ne peut être à l’âge de pierre et faire preuve d’instinct et de dons artistiques !
Si Edouard Harlé et Juan Vilanova y Piera partagent cette conception linéaire du progrès humain, leurs analyses des peintures d’Altamira débouchent pourtant sur deux interprétations opposées. Edouard Harlé considère comme trop élaboré le savoir-faire de ces prétendus artistes.

Edouard Harlé. Cliché : Muséum d'Histoire Naturelle de Bordeaux

 

"Le groupe des animaux très artistement peints sur toute leur surface en rouge et noir. avait un air de fraîcheur qui contrastait avec l’aspect dégradé des teintes dont il vient d’être parlé. Ces peintures, au nombre de plus de vingt, représentent des bœufs tous munis d’une bosse, un cheval ? et une biche. La tête de biche est l’œuvre d’un maître. […] Beaucoup de teintes sont fondues. L’artiste a plusieurs fois effacé après coup sa peinture suivant un trait pour produire un effet clair. Ce sont là des procédés bien savants !"
Source : Edouard Harlé, La grotte d’Altamira (Espagne), Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, t 16. 1881

Juan Vilanova y Piera y reconnaît au contraire des techniques et des matériaux très primitifs.

  


Juan Vilanova y Piera. Cliché : Museo nacional de Ciencas naturales"La perfection du dessin et des peintures, de même que la manière de les exécuter, servent à nos contradicteurs pour en nier l’antiquité et cependant M. Harlé s’est permis de faire figurer dans la planche de sa note un dessin n°VI, qui n’existe ni dans la caverne, ni dans la brochure de M. de Santuola […]. Le singulier procédé employé par l’artiste pour faire les dessins tous gravés, de même que les peintures, dans le calcaire crétacé dans lequel est ouverte la grotte ; procédé bien primitif, auquel on peut bien croire qu’on n’aurait pas eu recours dans les temps modernes.

L’aspect que présentent les traits de la gravure, lequel dénote au premier coup d’œil l’instrument grossier dont s’est servi l’artiste, c’est-à-dire la flèche, la pointe de lance ou l’instrument en silex ou en cristal de roche, qu’on trouve en abondance dans le kjökkenmödding qui couvre le fond de la première galerie […]
La nature des matières employées par l’artiste ou par les artistes pour les peintures, car les couleurs noire, jaune et rouge n’ont aucune préparation, comme c’est l’usage depuis longtemps, c’est de l’ocre naturel très abondant dans des mines de fer qu’on exploite non loin de la caverne et que l’on trouve aussi dans son intérieur. […]"
Source : Juan Vilanova y Piera, Sur la caverne de Santillana, Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, 11e session, La Rochelle, 1882, Paris, Secrétariat de l’Association, 1883, pp. 669-673.

De même, leurs avis diffèrent quant à la ressemblance des œuvres avec leurs modèles .…