Ici coule la Vézère, cette rivière si sombre sur les hauts fonds, dorée lorsqu'elle court sur les galets en été, d'un rouge profond lorsque son niveau monte, alors que ses courants puissants charrient les limons qui fertilisent la plaine. C'est sans doute en se laissant guider par ses courants, dans la fraîcheur d'un petit matin, alors que le soleil d'automne se lève à peine que l'on peut l'appréhender dans toute sa beauté. Aujourd'hui les canoës ont remplacé les gabarres, mais subsistent les ébauches d'écluses, les ports et les chemins de halages, témoins de son passé industrieux. C'est ici la fin de sa route. Elle va bientôt rencontrer la Dordogne. Avant cela, elle aura saisi dans ses eaux brunes les reflets blancs de la falaise abrupte, des habitats troglodytiques, des cluzeaux, des villages et des châteaux qui la surplombent. On ne peut évoquer la rivière sans penser à une autre vallée, plus secrète, où courent des ruisseaux : Grande Beune, Petite Beune, Beune de Paradoux, Benote, convergeant vers la Vézère pour s'y jeter aux Eyzies. Il faut marcher dans le silence des Beunes, les pieds dans la tourbe, à l'ombre des abris sous roche, passer ses petits ponts, longer ses zones marécageuses pour comprendre pourquoi on emploie l'adjectif "magnétique" pour qualifier cette vallée. Il faut y observer la richesse de sa faune et sa flore protégée et s'y sentir comme hors du monde, alors que paradoxalement, les Beunes "irriguent un territoire de la nuit des temps", comme l'écrit Pierre Michon. C'est un territoire habité par la préhistoire et l'histoire, où sites paléolithiques, cluzeaux, moulins et châteaux cohabitent dans une belle harmonie et qui, par son enclavement et sa topographie accidentée a échappé aux emprises de la modernité. ["A travers une végétation très dense, dans de brusques trouées, on pouvait apercevoir de temps à autre, en contrebas, la rivière, d'une couleur presque chocolat se précipiter entre les flans abrupts de la vallée, des filets de brouillard très mobiles s'accrochant aux arbres, le tout sous un ciel extrêmement assombri et menaçant : belle entrée en matière, il me sembla [...]". Jean-Christophe BAILLY. Le Dépaysement. Voyage en France. 2011